50 solutions de mobilité émergentes passées au crible
Rémy Le Boennec, chercheur à l’Institut VEDECOM et LGI CentraleSupélec ( Université Paris-Saclay), en collaboration avec Isabelle Nicolaï (LGI CentraleSupélec, Université Paris-Saclay) et Pascal Da Costa (LGI CentraleSupélec, Université Paris-Saclay), a présenté une étude dans le cadre du projet de recherche baptisé l’Observatoire des Nouvelles Solutions de Mobilité de l’Institut VEDECOM. Elle évalue 50 solutions de mobilité émergentes sur la base de 18 indicateurs de développement durable et de caractéristiques territoriales. Le but est d’aider les décideurs à élaborer, sur leur territoire, des scénarios de mobilité pertinents et viables de déploiement de nouvelles offres. Retour sur cette étude parue paru dans les actes de la conférence internationale Transport Research Arena (TRA), qui avait lieu à Vienne du 16 au 19 avril 2018.
Vers de nouveaux usages de la voiture individuelle et des modes de transport
L’opposition traditionnelle entre voiture personnelle et transports collectifs tend à s’atténuer et nombreux sont ceux qui voient l’automobile comme « le transport en commun de demain » pour compléter l’offre publique dans des lieux ou à des heures où elle est aujourd’hui peu compétitive (espaces peu denses, soirée). Plébiscitée pour sa praticité, l’automobile est utilisée quotidiennement par 64% des Français vivant dans une commune rurale et 44% de ceux vivant dans des agglomérations de plus de 100 000 habitants.[1] Elle porte néanmoins son lot de nuisances (bruit, pollution, émission de gaz à effet de serre), d’accidents et d’embouteillages. En parallèle, l’émergence du concept de mobilité inclusive, qui vise à proposer des solutions physiquement et financièrement accessibles aux catégories de populations exclues d’un accès à la mobilité « standard », invite à repenser nos modes de déplacement et à faire évoluer notre cadre institutionnel en ce sens. L’adoption des nouvelles offres de mobilité durable continue quant à elle à se confronter à des obstacles tant psychologiques que sociologiques. Les usagers pratiquent régulièrement l’intermodalité, qui est la combinaison de plusieurs modes de transport dans un même déplacement, ou la multimodalité, à savoir l’usage alternatif de plusieurs modes dans des déplacements différents. Ces modes représentent toutefois, malgré des signes de développement encourageants, un trop faible pourcentage de la population.
L’Observatoire des Nouvelles Solutions de Mobilité : un outil d’aide à la décision
C’est pour réduire cette fracture, à la fois territoriale et sociale, qu’a été menée cette étude présentée lors de la conférence TRA. Elle permet aussi d’accompagner le changement des comportements et de prendre en compte la profusion des nouvelles offres de mobilité dans le processus de prise de décision. Destiné aux décideurs, l’Observatoire vise à évaluer les nouvelles offres de mobilité en fonction de caractéristiques géographiques et socio-démographiques relatives à des types de territoire présentant des densités d’habitat, des densités d’emploi et des flux de population qui leur sont spécifiques. Pour un trajet donné, chaque solution évaluée est comparée à la voiture personnelle à moteur thermique, utilisée par un conducteur seul. Les spécificités territoriales sont cruciales. Si par exemple les solutions d’autopartage se révèlent pertinentes dans les villes centre, elles le sont rarement dans les espaces faiblement peuplés. De la même manière, le succès d’Uber est lié aux faibles distances à parcourir dans les villes centrales. La question est de savoir comment identifier les caractéristiques des usagers inter et multimodaux pour les transférer aux autosolistes exclusifs, et aider ainsi les opérateurs de mobilité, historiques ou nouveaux entrants sur le marché, à concevoir des offres innovantes, adaptées au marché visé, et économiquement durables.
A chaque territoire sa solution, y compris au sein de l’Ile de France
L’évaluation menée dans le cadre de l’Observatoire des Nouvelles Solutions de Mobilité va donc de pair avec l’établissement d’une typologie de territoires : pour l’Ile-de-France par exemple, il est possible de distinguer différents types de territoires, de Paris intra-muros jusqu’aux espaces périurbains et ruraux. Les spécificités de chaque type de territoire en matière de déplacements induisent le recours à des solutions de mobilité différentes. Dans Paris intra-muros, les offres historiques (transport collectif) et émergentes (vélos, scooters ou trottinettes en libre-service) co-existent, ce qui rend délicate la conduite d’une politique de mobilité articulant au mieux les différentes solutions. Dans les espaces urbanisés proches, le recours au vélo et à l’autopartage complète encore, le plus souvent, l’offre historique de transports collectifs. Dans le reste de l’espace urbanisé, le réseau de transport collectif reste dense, mais compte tenu des distances plus importantes à parcourir, il est difficile d’offrir des services de mobilité partagée sans discontinuité : quand on prend un Vélib’ dans une station, par exemple, il faut pouvoir le déposer dans une station peu éloignée. Dans les villes moyennes du reste de la grande couronne (espace périurbain), les services de mobilité s’organisent généralement en rabattement autour des gares ; enfin dans les communes non desservies par une gare de la grande couronne parisienne et des régions limitrophes, peu densément peuplées, on constate, hors des expérimentations ponctuelles, un réel manque d’offre de mobilité alternatives à la voiture personnelle.
Une méthode originale en deux étapes pour élaborer des scénarios de mobilité propres à son territoire
Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à ces différentes problématiques, l’Observatoire des Nouvelles Solutions de Mobilité a évalué 50 solutions de mobilité, majoritairement émergentes. Il utilise une méthodologie originale en deux étapes. La première consiste, grâce à une analyse multicritères, à attribuer un score consolidé à chacune de ces offres sur la base de 18 indicateurs. Les critères retenus, déclinés en indicateurs de mesure pour le processus d’évaluation, ont été validés par un groupe d’experts en mobilité associant chercheurs, industriels et territoires. Les critères retenus couvrent les trois domaines du développement durable : économique, environnemental et social.
Obtenus grâce au logiciel Diviz, les résultats montrent que dans les espaces très densément peuplés, comme Paris, la voiture personnelle à moteur thermique est peu efficace (en raison des critères environnementaux plus importants dans les espaces centraux), contrairement aux territoires peu densément peuplés où le recours à la voiture personnelle est massif, essentiellement par habitude et pour des raisons pratiques (gain de temps, …). Pour des raisons similaires, le covoiturage se présente comme une alternative écologique dans les espaces peu denses. A l’inverse, la performance spatiale de la voiture personnelle électrique décroît lorsque l’on s’éloigne des espaces densément peuplés. Le recours à des solutions actives partagées (par exemple Vélib’ à Paris) n’est globalement viable et praticable que dans les zones denses à très denses. Les navettes autonomes présentent le même profil, à la fois parce que la vitesse de déplacement est encore peu compétitive face à la voiture thermique dans les régions peu densément peuplées, mais également parce que la préoccupation écologique s’y fait moins ressentir (critères environnementaux peu pondérés dans les espaces peu denses). De façon surprenante, la marche obtient le score le plus élevé, quel que soit le type de territoire considéré, tant en raison de facteurs économiques (faible coût pour l’usager) qu’environnementaux ou encore sociaux (pratique quasi-universelle, confiance dans le mode…).
Dans une seconde étape, des relations d’influence et de dépendance entre les 18 indicateurs sont établies grâce au logiciel MICMAC,. Pour chaque type de territoire, une matrice des interactions entre les différents critères pris deux à deux est renseignée. On obtient une cartographie des influences et dépendances entre critères qui permet, finalement, d’établir un ou deux scénarios territorialisés pour la conception de solutions de mobilité innovantes ou hybrides.
Trois éléments à prendre en compte pour promouvoir une mobilité plus durable
De nombreux outils d’observation s’intéressent aux mobilités de demain. L’originalité de la démarche de l’Observatoire des Nouvelles Solutions de Mobilité réside quant à elle dans le fait qu’elle compare les offres émergentes telles que covoiturage, autopartage et modes actifs, grâce aux scores obtenus par l’analyse multicritères. Unique, elle offre aux autorités publiques des éléments complémentaires en faveur d’un arbitrage plus fin des solutions à promouvoir. Grâce à un travail de veille systématique, l’Observatoire va continuer d’évaluer et de classer de nouvelles offres de mobilité. Au vu des résultats intermédiaires, trois éléments ressortent en faveur d’une mobilité plus durable :
- Le covoiturage conducteur présente des profils spatiaux similaires à ceux de la voiture personnelle, avec une performance relativement meilleure dans des territoires peu denses. Il reste cependant sous-exploité.
- Les modes de déplacement actifs, notamment la marche, doivent être encouragés partout par les autorités publiques, en déployant notamment des règles et des infrastructures qui en garantissent la possibilité, la sécurité et le confort, ainsi qu’un accès aisé aux zones commerciales.
- Enfin, dans les régions peu densément peuplées, la marche doit évidemment pouvoir être combinée avec d’autres modes de transport. Des applications performantes d’information multimodales, qui remportent elles aussi un score élevé dans tous les types de territoire, pourraient y être heureusement déployées.
Demain, une brique dans un pack plus global pour accompagner les acteurs de la mobilité
L’Observatoire des Nouvelles Solutions de Mobilité constituera par la suite une brique qui a vocation à intégrer un pack plus global à destination des territoires et entreprises :
- Nouvelles mobilités (l’observatoire) : un service d’évaluation des nouvelles solutions de mobilité
- Business models: un service d’analyse des business models et de leur robustesse
- Parcours d’usagers: un service d’analyse terrain des parcours d’usagers des nouvelles mobilités
Contacter l’auteur => mailto :remy.leboennec@vedecom.fr
https://www.researchgate.net/profile/Remy_Le_Boennec
[1] Source : Chronos, l’ObSoCo, 2018
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